Pas évident de résumer une expérience comme celle que nous avons vécue en allant déjeuner, de manière impromptue, au Balwoo Gongyang – joli restaurant de temple cuisine, que l’on traduira par « cuisine monacale », parce qu’on fait bien ce qu’on veut. Pas évident, parce que d’une certaine manière, cette expérience, on l’aura appréciée de manière surtout… spirituelle, en fait !
Jeong Kwan et la cuisine monacale
Effleurons le contexte : le terme de temple cuisine a atteint le grand public en 2017, grâce à la diffusion d’un épisode de la série Chef’s Table (Netflix) centré sur Jeong Kwan, une moniale coréenne devenue cheffe de son monastère. On y découvre une cuisine ascétique, cherchant à lier l’esprit et le corps grâce au travail de la terre et des hommes. Evidemment, pas d’ingrédients d’origine animale, et l’accent est mis sur les aliments fermentés (kimchi, sauce soja…). On n’utilise pas non plus d’ail, d’oignons (et leur cousins), qui sont jugés impropres à la méditation. Bref, tout semble pensé comme une expérience à part entière. Le but n’est pas *que* d’apprécier son repas, mais aussi de pouvoir y puiser les qualités nécessaires au travail de la journée. Limpide.
L’épisode de Netflix est d’une telle beauté qu’on avait qu’une envie : en savoir plus sur cette fameuse cuisine monacale. Un passage éclair à Séoul était l’occasion rêvée ! Direction le Balwoo Gongyang, restaurant recompensé d’une étoile Michelin – que demander de plus ?
Au premier étage de l’immeuble : Temple Stay, une association de découverte du bouddhisme Seon (version locale du « Zen » japonais). Une partie des touristes se font avoir et filent déjeuner au 2e étage. Grave erreur ! Le « vrai » restaurant se trouve au 5e étage – et au vu des critiques sur les sites des baroudeurs gastronomes, il vaut mieux ne pas se tromper. Pénétrez dans la boutique de l’association, et prenez l’ascenseur jusqu’à votre destination. Ici, un restaurant au design très contemporain, aux espaces lumineux compartimentés, où chaque tablée se retrouver isolée dans son univers.
Et qu’est-ce qu’on mange ?
Qu’est-ce qu’on y mange ? Beaucoup de choses, à vrai dire. Nous, on est partis sur le menu premier prix : 30’000 won (environ 25 €) soit pas bien cher pour un restaurant étoilé. En tout, quatorze plats, dessert inclus.

En amuse-bouche : bomnamul-juk (gruau de riz aux légumes verts), bom-mul kimchi (kimchi de chou mariné) et bokbunjaechong-e-jeorin-bangwool-tomato (tomate cerise confite dans une marmelade de cerise de trois ans d’âge). Étrangement, notre serveur nous conseille d’aller du plus goûtu au plus fade.
Comme attendu, la tomate est fondante, craquante et très sucrée. Le kimchi est léger en bouche, agréablement relevé. Le gruau, lui, est par contre très fade. On aurait apprécié de pouvoir y jeter une goutte de sauce soja pour en sublimer le goût.

En entrée : bomnamul-geotjeori (salade de pousses légèrement assaisonnée), minari-gyeojachae (assortiment d’herbes émincées et galettes de blé), cheongpomuk-gim-muchim (gelée d’haricots mungo aux algues séchées) et modeum-beoseot-gangjeong (champignons sautés sauce aigre-douce).
Difficile de faire plus disparate. Les champignons sauce aigre-douce sont sucrés, croustillants, et l’on pourrait dire « gourmands » par rapport au reste du repas. La gelée d’haricots mungo n’offre que de la texture, alors que les algues apportent un saisissant contraste salé et fondant. La salade d’herbe, elle, joue sur des notes acidulées, avec une texture piquante.

En plat de résistance : chija-beosot-bab et yangnyeom-jang (riz parfumé au gardenia, champignons), bomnamul (herbes de printemps à la sauce soja), deux variétés de kimchi et doenjang-jjigae (bouillon de pâte de soja au chou et champignons enoki).
On arrive ici en plein cœur du débat. Par rapport à une gastronomie (par exemple) française, habituée au mariage entre les saveurs, le plateau de résistance offre un contraste apparemment désordonné. Le bouillon, par exemple, vous attaque les narines, tandis que les deux kimchi vont s’en prendre à vos papilles. En comparaison, les herbes de printemps et le riz aux champignons, eux, paraissent fades, bien évidemment. Un moyen de les rehausser : la sauce soja de cinq ans, servie chichement, qui va sublimer les ingrédients de manière inconcevable pour quelqu’un qui ne serait habitué qu’aux sauces industrielles génériques.

En dessert : konggomul-muhwagwa-jeonggwa (figue séchée à la poudre de soja) et geumgyul-sikhye (décoction de kumquat et riz sucré).
Pas grand chose à dire ici, si ce n’est que ce dessert peu sucré nous offre une délicate note finale. Les goûts et les arômes sont subtils, et bienvenus après ce festival de saveurs.
En boisson, on avait suivi les conseils de notre serveuse et pris une infusion (mousseuse) de ginseng rouge dont l’amertume et le côté douçâtre accompagnaient bien la subtilité du repas – mais dont l’âpreté tord les boyaux. On aurait pu se contenter de l’infusion d’orge grillée servie à l’envi, finalement.
Mais qu’est-ce que le point ?
Au final, on sort désorientés de ce déjeuner, où l’on est peu accompagné – le service est expéditif, bien que cordial. Comme vous pouvez le voir, tout est présenté de fort belle manière, en petites portions joliment déposées. L’œil est donc amplement satisfait. Mais vos papilles vont être bien en reste de saisir ce qui est en train de se passer – tout simplement parce que la logique est trop éloignée de la restauration qui nous est vendue habituellement.
Sortis perplexes, on a fini par voir la lumière en nous rendant quatre étages plus bas, pour un moment de thé partagé avec une jeune moniale de Temple Stay. Parlant avec elle de cuisine contemporaine, on a invoqué le chef nippo-niçois Keisuke Matsushima et ses théories. D’après lui, les goûts sucrés et salés, qu’il nomme « upper », montent à la tête et font plaisir au cerveau, qui y trouve une satisfaction instantanée. L’umami, l’acide et l’amer, les « downer », apportent eux leurs bienfaits au corps, même s’ils excitent moins nos papilles d’occidentaux drogués à la fast food.
Mais pour reprendre les préceptes bouddhistes, toute satisfaction immédiate a des répercussions sur le long terme. Et en effet, à force de se gaver de plats gras et sucrés, nos corps comme nos papilles en pâtissent. Là réside tout l’intérêt de la cuisine monacale – une cuisine qui parle au corps sur le long terme, en jouant sur des énergies douces, plus proches des éléments eau et terre que de notre feu habituel. La comparaison avec les émotions est belle. On ne saurait être que joyeux, dans la vie. C’est le contraste avec la tristesse, la colère, ou la solitude bienveillante qui font le sel de l’existence. De la même manière, nous habituer au goût d’aliments acides, amers ou âpres permet à notre corps et à nos sens de mieux apprécier le sucre et le sel, qui ne sauraient être les uniques fondamentaux de notre alimentation.
Est-ce qu’on a apprécié la cuisine du Balwoo Gongyang ? À vrai dire, gustativement parlant, pas vraiment. Mais la leçon de vie aura été suffisante pour qu’on s’en souvienne longtemps.
Pour en savoir plus :
Balwoo Gongyang
http://c146.danah.co.kr/
56 Ujeongguk-ro, Jongno 1(il).2(i).3(sam).4(sa), Jongno-gu, 서울특별시 Corée du Sud