Imaginez un quartier résidentiel, dans une petite ville en périphérie de Tokyo, Yokohama. Un immeuble d’habitation à la façade grise, et un ascenseur qui vous mène dans les étages jusqu’à l’appartement 506. Vous sonnez, et la porte qui s’ouvre devant vous dévoile un vestibule traditionnel aux murs de bois, à la lumière blanche. Un panneau coulisse, et soudain vous vous retrouvez dans un véritable jardin japonais à ciel ouvert, aux buissons et arbustes perdus entre les sommets des gratte-ciels. Comme rampant sur le sol, une étrange créature de glaise vous fixe de son œil cyclopéen, tandis qu’un chemin de pierres plates vous invite à la découverte des secrets de la Voie du thé. À la découverte de Shuhally.

Chadô, la Voie du thé
La Cérémonie du thé telle qu’on la pratique aujourd’hui au Japon est l’héritière de près de neuf siècles d’évolution. La tradition monacale des débuts s’est transformée au contact des seigneurs féodaux en rituel social, avant de devenir un véritable Art méditatif à part, atteignant sa forme actuelle sous l’égide du maître Sen no Rikyû. Il serait aisé, dès lors, pour un maître de cérémonie, de rester accroché aux tenants du passé. Respect des traditions, répétition infinie de la forme, alors que la recherche du sens reste diffuse. Tel n’est pas le propos à Shuhally.
« Shu ». L’obéissance que l’on doit au maître, l’apprentissage obédient et dévoué.
« Ha ». La recherche, le questionnement de soi et de l’ego.
« Ri ». La découverte, finalement, la transcendance du physique, la grâce.

À la découverte du soi
Ryotaro Matsumura, le maître résidant et fondateur de Shuhally, n’a rien de l’adepte classique du chadô. Après avoir étudié la philosophie à la Nihon University, il choisit de prendre une année sabbatique à la découverte de l’Europe, et de la France en particulier. C’est ce « pas de côté » salutaire qui lui permet de comprendre que la culture nippone, qui fait partie de son ADN, n’était pourtant pas une évidence en soi. Bien décidé à redécouvrir sous un jour nouveau cette partie de lui, il rentre au Japon, comme à la recherche de sa propre identité. Il la retrouvera en étudiant le chadô de la tradition Urasenke, héritière des enseignements de Sen no Rikyu.
Pourtant, sans remise en question, la Cérémonie du thé court le risque de s’endormir. Si le pratiquant ne donne pas de sens à son acte, la grâce – le mouvement parfait qui surpasse l’esprit – n’est que vaine répétition ; les aphorismes Zen ne sont que des kakejiku figés ; le charme tranquille des céramiques wabi-sabi, plus qu’un argument de vente.

L’art et l’artisanat au cœur de la vie
Shuhally est pensé comme un concept à part, permettant d’accueillir les adeptes du chadô tout comme les nouveaux pratiquants et les curieux, et ainsi de faire se croiser des populations hétéroclites. Rien n’est caché, tout est à découvrir. L’accent est mis sur les créations de jeunes artistes et artisans afin que tout un chacun puisse trouver le point d’entrée qui lui correspond. Les pièces du service à thé sont bien évidemment centrales (céramistes, forgerons, ébénistes…), mais avec celles-ci, on appréciera la délicatesse d’une pâtisserie aux couleurs vives, douce et légèrement sucrée, une peinture ou un rouleau suspendu dans l’alcôve du tokonoma traditionnel.
Le maître des lieux, aussi connu sous son nom de thé, Sôryô, n’hésite d’ailleurs pas à donner de sa personne pour la promotion de son art – au point où il est devenu partie intégrante de sa maison de thé. Un jour, on peut l’apercevoir vêtu d’un riche kimono à motifs de crânes humains, brodé de sequins argentés ; un autre jour, ce sont des fils de tissus multicolores qui tracent un lapin – son animal fétiche – sur les bras et le dos de sa veste. Toujours, il aura une anecdote pour vous, quelque chose à vous raconter sur l’art du thé ou sur les nombreux invités qui ont ici croisés sa route : photographes, céramistes, acteurs célèbres… Parmi eux, Beat Takeshi, qui est venu filmer une de ses émissions, ou encore le DJ KEIZOmachine! du groupe Hifana, qui apparaît aux côtés de Sôryô dans un de ses clips.
Venez donc visiter Shuhally, et peut-être aurez-vous la chance de croiser la nouvelle génération d’artistes et d’artisans japonais qui se retrouve ici comme les créateurs d’autrefois au Café de Flores. Ils vous parleront de leur art, et très certainement de la tradition japonaise qui est à la base de leur formation (Shu), qu’ils ont cherché à dépasser en allant fouiller en eux (Ha) et de la raison d’être (Ri) qui les meut aujourd’hui dans une atmosphère résolument pop’.
Trois syllabes qui dessinent l’univers d’un nouveau Japon.
Pour en savoir plus :
Shuhally sur facebook.
Article originellement publié sur le site français de Shuhally, et mis à jour.
Photos ©Sadahisa Yokouchi et ©Kosuke Tamura.